La nomination des juges à la Cour de Justice de l’Union européenne et à la Cour européenne des droits de l’homme Lord Mance -
Le Traité de Lisbonne -
L’angle du comité selon l’Article 255 -
L’étendue du rôle du comité -
La Cour européenne des droits de l’homme -
Différences entre les comités du Luxembourg et de Strasbourg -
Initiatives visant à étendre le rôle du panel au terme de l’Article 255 -
Editorial
Il m’est agréable de présenter les activités que nous avons programmées pour 2013 dans la première livraison de notre lettre d’information de cette année. Nous envisageons essentiellement de poursuivre les discussions que nous avions lancées en 2011 avec la Cour de justice de l’Union européenne sur le dialogue avec les cours suprêmes dans le domaine des droits fondamentaux en l’élargissant à la Cour européenne des droits de l’Homme. La Charte européenne des droits fondamentaux est l’occasion d’un dialogue renouvelé et une source juridique supplémentaire pour le juge national. Dans ce nouveau contexte, l’interprétation des droits fondamentaux par les deux cours européennes rend sans doute nécessaire une interaction plus étroite avec les cours suprêmes nationales pour développer une jurisprudence commune et harmonieuse. Notre collègue de la cour suprême de Finlande, Mme Koskelo, a déjà lancé l’invitation de nous réunir à Helsinki pour cette première réunion d’un nouveau cycle de coopération. Nous lui exprimons notre gratitude.
Nous poursuivrons aussi notre coopération avec les institutions européennes, notamment en ce qui concerne le Portail commun de jurisprudence pour lequel une réunion de suivi et d’information a été tenue au Conseil européen à Bruxelles en décembre 2012. Parallèlement, en application de la décision du conseil d’administration, un groupe de travail sur les activités en ligne du Réseau, site Internet et Portail commun de jurisprudence, dont la présidence a été confiée à M. Herrmann, juge à la Cour suprême allemande, s’est réunie par deux fois à Paris. Nous attendons son rapport.
Vous trouverez dans ce numéro l’intervention de Lord Mance de la Cour suprême du Royaume Uni lors de notre dernier colloque à Paris en octobre 2012 sur la nomination des juges dans les cours européennes tirée de son expérience de membre du comité de l’article 255 du Traité de Lisbonne.
We will also continue our cooperation with the European institutions, particularly with respect to the Common Portal of Jurisprudence, for which a follow-up and information meeting was held at the European Council in Brussels in December 2012. Side by side with this and pursuant to the Board’s decision, a working group on the Network’s online activities, the Website and the Common Portal of Jurisprudence, of which Mr Herrmann, Justice in the German Supreme Court, has been appointed Chairman, held two meetings in Paris. We look forward to receiving his report.
In this issue, you will find the statement by Lord Mance, of the United Kingdom Supreme Court, at our last Colloquium in Paris in October 2012 on the appointment of judges in the European Courts, based on his experience as a member of the Article 255 Committee of the Lisbon Treaty.
La nomination des juges à la Cour de Justice de l’Union européenne et à la Cour européenne des droits de l’homme
Lord Mance*
Introduction
1. La Cour de justice, qui dispose de pouvoirs transnationaux sans pareil, a cimenté le développement de l’Europe. Son action est allée bien au-delà du concept initial d’un marché commun. La qualité et l’expertise de ses membres sont particulièrement importantes tant au sein de la Cour elle-même, qu’au sein de son Tribunal dont les charges de travail sont différentes. A l’évidence, ceci vaut également pour la qualité et l’expertise des juges de la Cour Européenne des droits de l’homme, dont la charge croissante est différente tout en étant de plus en plus pertinente pour l’Union Européenne.
2. Jusqu’à une époque récente, les nominations aux cours internationales étaient le domaine jalousement gardé des Etats qui en avaient la charge. Ceci était particulièrement vrai pour la Cour de Justice pour laquelle chaque Etat membre de la CE (aujourd’hui UE) avait et a encore le droit de nommer un juge (même si, parfois, ce droit est intermittent, comme c’est le cas pour les avocats généraux). La nomination elle-même devait se faire d’un commun accord (i.e. à l’unanimité) entre les Etats membres, mais dans la pratique, il semblerait qu’aucune candidature n’ait jamais été refusée. De même, cette méthode s’appliquait largement à la Cour Européenne des droits de l’homme pour laquelle les Etats devaient présenter une liste de trois personnes au Conseil de l’Europe, parmi lesquelles l’Assemblée du Conseil choisissait après examen par un comité constitué de certains de ses membres.
3. Les risques liés à un tel système sont évidents : le choix des Etats pouvait être influencé par des critères politiques plutôt que judiciaires. Ces postes pouvaient être recherchés et accordés d’avantage pour des raisons de statut ou d’émoluments liés à la fonction de juge européen que pour des raisons purement judiciaires. Cette procédure de nomination nationale ne permet pas toujours d’apprécier ou d’évaluer l’expertise particulière requise pour être juge des cours du Luxembourg ou de Strasbourg, ni celles que ce dernier devrait acquérir. De ce fait, la qualité de cette cour et de ses décisions pourraient s’en trouver affectées. La confiance des tribunaux nationaux, qui est fondamentale pour le fonctionnement de l’Union Européenne et l’application de la Convention européenne des droits de l’homme, pourrait en souffrir. Les universitaires comme les praticiens commencèrent donc à accorder à ces risques une attention de plus en plus grande (1).
Le Traité de Lisbonne
4. Le Traité de Lisbonne introduit une nouvelle aire dans l’UE. Au terme de l’Article 255 du TFUE, un comité fut institué afin de donner un avis sur l’adéquation des candidats à l’exercice des fonctions de juge ou d’avocat général, selon le cas, avant que les gouvernements européens ne procèdent à leur nomination. Le comité est composé de sept personnalités choisies parmi d'anciens membres de la Cour de justice et du Tribunal, des membres des juridictions nationales suprêmes et des juristes possédant des compétences notoires, dont l'un est proposé par le Parlement européen. Leur mandat est de quatre ans, renouvelable une seule fois. Cette composition imposée montre clairement que les Etats sont désireux de s’assurer que les juges soient à même de gérer les exigences pratiques lorsqu’ils siègeront à la Cour de Justice. L’Article 255 stipule également que le Conseil détermine les règles de fonctionnement de ce comité et en désignent les membres sur initiative du président de la Cour de justice.
5. Au terme des règles, le Secrétariat Général du conseil sert de secrétariat du comité. Toutes les candidatures sont transmises au comité. Ce dernier peut demander au gouvernement correspondant des informations ou éléments complémentaires. Le comité doit disposer d’un quorum de cinq membres. Il doit entendre chaque candidat lorsqu’il s’agit d’une première nomination à une fonction donnée ; par contre, notre interprétation de cette règle est que le comité ne peut entendre un candidat au renouvellement à un poste quelconque. L’audition du candidat est privée et les délibérations du comité se font à huis clos. L’avis du comité doit exposer les motifs principaux qui le sous-tendent. L’avis est transmis aux gouvernements de l’UE. Il est parfois demandé au président du comité de les en informer en Conseil.
6. Le Président du Comité est M. Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d’Etat, assisté de deux anciens membres de la Cour ou du Tribunal, trois membres ou anciens membres du Conseil constitutionnel ou de cours suprêmes (dont moi-même) et Ana Palacio, ancien ministre des affaires étrangères espagnol, nommée par le Parlement européen. Nos activités ont débuté en mars 2010, et nous avons présenté un rapport un an plus tard, une version intégrale étant destinée aux gouvernements et une version légèrement expurgée au public. Ceci a permis d’éviter que des données concernant l’historique d’une candidature ou la nature de certains avis ne soient exposées publiquement (2). Depuis lors, certains journalistes ou commentateurs ont publié des pseudo-informations sur le sujet. Pour ma part, je ferai preuve de la même retenue que le premier rapport mais les candidatures et nominations sont rendues publiques et, depuis que nous avons commencé nos activités, il y a eu, au sein de la Cour, cinq premières nominations à la fonction de juge et deux à celle d’avocat général ainsi que douze renouvellements de juges et deux avocats généraux, et, pour le Tribunal, six nouvelles nominations et onze renouvellements.
7. Le Traité de Lisbonne, comme ses prédécesseurs, comporte des conditions relativement formelles en matière d’éligibilité à une fonction donnée. Au terme de l’article 252, les candidats à la Cour doivent être “ des personnalités offrant toutes garanties d'indépendance et réunissant les conditions requises pour l'exercice, dans leur pays respectif, les plus hautes fonctions juridictionnelles, ou qui sont jurisconsultes possédant des compétences notoires ”. Au terme de l’article 254, les candidats au Tribunal doivent désormais “ posséder la capacité requise pour l'exercice des hautes fonctions juridictionnelles. ”(3). Mais l’article 255 requiert un jugement plus général sur la capacité des candidats à accomplir les fonctions de juge ou d’avocat général à la cour de justice.
L’angle du comité selon l’Article 255
8. Dans notre premier rapport, nous avons expliqué comment nous percevions notre tâche. Le gouvernement nous fournit sa propre motivation par écrit mais également celle du candidat ainsi que des informations sur les publications de ce dernier et, dans la mesure du possible, au moins une publication récente en français ou en anglais. Nous avons également la possibilité de consulter d’autres écrits du candidat. Nous ne tenons compte d’éléments défavorables qui nous parviendraient ou seraient soumis à notre attention qu’après en avoir abordé la teneur avec le candidat.
9. Une des particularités importantes de la pratique du comité consiste à demander à l’Etat qui propose un candidat si un comité de sélection a été institué et, dans ce cas, qui le composait et quelles étaient leurs recommandations. Les traités européens n’imposent aucune procédure nationale particulière en la matière. Mais l’existence d’une procédure de sélection objective et indépendante de l’influence de l’exécutif peut offrir quelques garanties au comité quant à la qualité du candidat. En l’absence d’une telle procédure, il se peut que rien ne vienne contrecarrer une opinion défavorable fondée uniquement sur les écrits et l’audition du candidat et les Etats membres de l’Europe prennent peu à peu conscience qu’il est dans leur intérêt de l’instituer.
10. S’agissant d’une première nomination, l’audition du candidat par le comité dure une heure. Il est demandé au candidat de justifier sa candidature pendant les dix premières minutes, puis de répondre aux questions, si possible, dans une des langues dans lesquelles les questions sont posées : le français ou l’anglais. L’examen des candidatures au renouvellement fait l’objet d’une réunion du comité sur demande écrite. Le rapport annuel traite d’aspects spécifiques abordés par le comité selon les chapitres suivants : (i) capacités juridiques, (ii) expérience professionnelle, (iii) aptitude à exercer les fonctions de juge, (iv) indépendance et impartialité et (v) connaissances linguistiques et capacité à travailler dans un environnement international dans lequel différentes traditions juridiques sont représentées.
11. Pour le (i), capacités juridiques, le comité s’attache à la pertinence d’une compréhension du droit de l’UE; il s’intéresse à la capacité d’un candidat à réfléchir aux conditions et mécanismes d’application du droit de l’UE, en particulier selon les systèmes nationaux des Etats membres mais également dans le cadre des défis auxquels le droit de l’UE se heurte actuellement. Le comité s’attend à ce que le candidat ait une certaine compréhension des questions générales du droit de l’UE et soit capable de les analyser ou de les approfondir.
Tout candidat doit être à même de participer efficacement à la gestion des affaires soumises à la cour sans perte de temps excessive.
12. Pour le (ii), l’expérience professionnelle, le comité a suggéré qu’en termes généraux, il serait difficile de se satisfaire d’une expérience à haut niveau inférieure à 20 ans pour ce qui concerne les juges et avocats généraux de la cour de justice et inférieure à 12 ans et plus pour le tribunal mais qu’une telle expérience pourrait être acquise en tant qu’avocat, professeur des universités, haut fonctionnaire ou autre expérience professionnelle.
13. Quant au (iii), aptitude, outre les capacités juridiques citées au (i), le comité recherchera une compréhension du rôle et de l’étendue des fonctions liées au poste pressenti, la clarté de l’analyse et de l’expression, la maîtrise de la pratique ainsi que la capacité à discuter les questions de façon collégiale.
14. Quant au (iv), indépendance et impartialité, le comité accordera une grande attention aux éléments concernant la carrière du candidat ainsi que les résultats de l’entrevue pour exprimer d’éventuelles réserves à son sujet.
15. Quant au (v), tout candidat à la Cour doit maîtriser ou pouvoir maitriser sans délai le français, langue de travail de la Cour. Le comité estime que la maîtrise d’une ou plusieurs langues officielles de l’UE est un élément positif. Même si ce n’est pas un élément déterminant, il permet une meilleure perception de la capacité du candidat à travailler dans un environnement international. Tout aussi positif à cet égard serait la publication d’un texte dans une langue autre que la langue maternelle du candidat, sa participation à des réunions, colloques ou séminaires internationaux ainsi qu’une compréhension de la nature, des principes et des préoccupations de pays membres autres que le sien.
L’étendue du rôle du comité
16. Le rôle et les fonctions du comité ne sont, de toute évidence, pas sans limites :
a. Il n’examine qu’une seule candidature à la fois. Son rôle consiste à exprimer un avis favorable ou défavorable sur la pertinence de la candidature. Il ne choisit pas entre plusieurs candidats et n’est pas autorisé à le faire ;
b. Il ne peut donc, en aucun cas, influencer la composition de la Cour de justice, ni favoriser une qualité plutôt qu’une autre, pas davantage qu’une expérience ou expertise plutôt qu’une autre; rien dans les traités européens ne fait écho au Statut de Rome sur la Cour pénale internationale, qui impose spécifiquement que les Etats accordent une attention particulière à l’équilibre des qualifications, l’expérience et la répartition homme/femme au sein de cette Cour ; ce qui fait que c’est, au mieux, à la loi des moyennes de déterminer si la Cour pourra bénéficier de caractéristiques ou capacités spécifiques ;
c. le comité ne s’occupe que de nominations ou de renouvellements ; il ne peut pas intervenir dans le cadre d’un non renouvellement, ce qui arrive de temps à autre et est généralement attribué à des raisons politiques.
La Cour européenne des droits de l’homme
17. La Cour européenne des droits de l’homme permet une comparaison intéressante avec la Cour de justice. A certains égards, le Conseil de l’Europe est allé plus loin et plus vite que l’UE. A d’autres égards, il s’en est inspiré mais de façon plus limitée.
18. Tout d’abord, les organes du Conseil de l’Europe ont, de façon proactive, et avec de bons résultats, abordé la question de l’équilibre hommes/femmes. Ils ont exigé que la liste de trois noms fournie par les gouvernements comporte au moins un représentant du sexe sous-représenté (4); et, le 12 février 2008, la Cour de Strasbourg, dans le premier des deux avis consultatifs relatifs à l’élection des juges – après avoir confirmé qu’il était vital pour l’autorité et la qualité des décisions de la Cour que tout candidat respecte les critères de la Convention exigeant qu’ils jouissent “de la plus haute considération morale et réunissent les conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions judiciaires ou être des jurisconsultes possédant une compétence” – ajoute que si tel est le cas, rien n’empêche les Etats membres de tenir compte d’autres critères ou considérations lorsqu’ils choisissent parmi les candidats d’une liste ou lorsqu’ils examinent la pertinence d’une liste de candidats ; il s’agit, par exemple, de “l’obtention d’un certain équilibre homme/femme ou entre les branches des professions juridiques ou, même, au sein de la cour” (para 42). Les exigences et les admonestations du Conseil de l’Europe ont porté leurs fruits. En effet, plus de 40% des magistrats de la Cour sont des femmes.
19. Deuxièmement, le problème du renouvellement des mandats a également été étudié. Le Protocol Nr 14 de la Convention a fini par entrer en vigueur avec beaucoup de retard. Il prévoit que les magistrats ne disposent, à l’avenir, que d’un seul mandat de neuf ans, non-renouvelable. (On peut, toutefois, s’inquiéter de la brièveté de ce mandat – et se demander s’il est suffisamment long pour permettre aux présidents comme aux chambres d’émerger et d’occuper leurs fonctions pendant une période significative).
20. Troisièmement, par la Résolution CM/Res(2010)26 du 10 Novembre 2010, le Comité des Ministres a suivi l’exemple de l’UE, en instituant un panel consultatif composé de sept personnes chargées de “formuler à l’intention des Hautes Parties contractantes des avis sur la question de savoir si les candidats à l’élection à la fonction de juge à la Cour européenne des droits de l’homme remplissent les critères prévus par l’article 21§1, de la Convention européenne des droits de l’homme. Ses membres sont “choisis parmi les membres des juridictions nationales suprêmes, les anciens juges des juridictions internationales, y compris la CEDH et autres juristes possédant des compétences reconnues, qui siègeront en leur qualité personnelle”, il est en outre prévu que “ La composition du Panel soit équilibrée du point de vue géographique et de la parité hommes-femmes. ”.
Dans les faits, il est composé de cinq hommes, y compris l’ancien Président de la CEDH, Lucius Wildhaber, et de deux femmes. C’est également le cas pour le comité au terme de l’Article 255, particularité que je souligne uniquement parce que Strasbourg la copiée !
21. Quatrièmement, le Comité des Ministres a, lors de la réunion des 28-29 mars 2012 publié les lignes directrices concernant la sélection des candidats au poste de juge à la CEDH, accompagnées d’une note explicative détaillée (5). Ces documents traitent des procédures de sélection à l’échelon national. Parmi les critères exigés : jouir de la plus haute considération morale, réunir les conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions judiciaires ou présenter des capacités de jurisconsulte notoire ainsi qu’une connaissance des systèmes légaux nationaux comme du droit public international, une expérience pratique étant également “souhaitable”. De plus, les candidats doivent« au minimum », maitriser une des deux langues officielles de la cour et devraient pour le moins, “posséder une connaissance passive d’une autre langue ”.
22. Les critères requis en matière d’appel à candidature sont encore plus radicaux. Ils doivent :
a) être “stable et établie par avance par la codification ou la pratique administrative” et largement rendus publics,
b) impliquer un appel à candidatures largement diffusé dans le public et, si nécessaire, que des mesures appropriées soient prises pour s’assurer qu’il y ait un nombre suffisant de bons postulants,
c) si les postulants sont proposés par des tierces parties, mettre en place des garde-fous pour s’assurer que toutes les candidatures appropriées soient examinées de manière équitable et impartiale et que les postulants ne soient pas dissuadés ou empêchés de se porter candidats.
En outre, l’organe chargé de recommander les candidats doit être équilibré, expert et impartial ; il peut rechercher des informations pertinentes auprès de sources extérieures (ou, si le nombre le justifie, interroger et rencontrer les candidats sélectionnés dans un premier temps (“short list”) en appliquant un format standard et en faisant passer des épreuves linguistiques. Pour finir, tout écart du décideur final par rapport à la recommandation du panel doit être motivée à la lumière des critères de références s’appliquant à l’établissement des listes.
Différences entre les comités du Luxembourg et de Strasbourg
23. Les panels institués au sein des Cours du Luxembourg et de Strasbourg ont des fonctions qui sont formulées différemment. Le comité selon l’article 255 donne “un avis sur la capacité du candidat à accomplir les fonctions de juge ou avocat général de la Cour de justice et du Tribunal ”. Cette formulation implique d’examiner si les conditions des articles 253 et 254 sont remplies et de dire en termes généraux si le candidat convient au poste. Le mandat du panel de Strasbourg est défini (dans la Résolution CM/Res(2010)26) comme étant seulement consultatif auprès des états du Conseil de l’Europe afin de déterminer “si les candidats à l’élection au poste de juge de la CEDH satisfont aux critères prévus à l’Article 21 para 1”. Ceci revient à s’assurer que les candidats jouissent « d’une haute considération morale et réunissent les conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions judiciaires ou présenter des capacités de jurisconsulte notoire ». Cependant, les règles de fonctionnement du panel de Strasbourg (qui figurent dans la même résolution) font ensuite référence à son rôle comme consistant à « évaluer l’adéquation des candidats ». Les rôles des deux panels sont donc peut-être identiques malgré une phraséologie différente.
24. Cependant, les règles de fonctionnement du panel de Strasbourg diffèrent de celles qui s’appliquent au comité selon l’article 255 à deux égards. Pour commencer, la procédure du panel de Strasbourg est, avant tout, écrite : ses membres transmettent leurs avis au président par écrit et ils ne se réunissent que lorsqu’ils le jugent utile. Il peut demander des informations complémentaires aux Etats membres et, dans des cas exceptionnels, se réunir à huis clos avec les représentants dudit Etat membre. Il semble que l’exclusion d’une possible entrevue ou, même, à de rares exceptions près, d’une réunion du panel, résultent de considérations financières. La procédure, comme pour le comité de l’UE est confidentielle
25. Deuxièmement, le panel de Strasbourg donne son avis sur la liste uniquement à l’Etat qui l’a présentée. L’Etat en question semble donc, à ce stade, protégé de la pression de ses pairs d’autres Etats éventuellement désireux de leur voir retirer une ou plusieurs candidatures qui auraient fait l’objet d’un avis défavorable du panel. Une fois la liste examinée plus avant par un sous-comité électoral de l’assemblée du Conseil de l’Europe, puis par l’assemblée en plénière, la Résolution CM/Res(2010)26 prévoit que l’avis du panel soit transmis à tous les membres du Conseil de l’Europe, à titre confidentiel.
26. Ceci m’amène à une différence plus fondamentale entre les systèmes des Cours du Luxembourg et de Strasbourg. Comme indiqué plus haut, les nominations au sein de l’UE ne peuvent se faire que par les gouvernements européens et à l’unanimité. Si l’avis du comité est défavorable, il serait peu probable que les gouvernements européens aboutissent à un point de vue différent. A Strasbourg, cependant, la question est transmise à la sous-commission électorale de l’Assemblée puis, à l’assemblée plénière. Le démarchage électoral ou la négociation entre membres de la commission des affaires juridiques et les différents groupes au sein de l’assemblée sont loin d’être rares. Mais, si on exclut la survenue improbable d’une évidente et grossière erreur de jugement ou d’un malentendu de la part du panel de Strasbourg, on aurait pu attendre que le jugement porté par le panel sur les qualités juridiques et autres d’un candidat serait définitif. La Cour de Strasbourg et son image aux yeux des juridictions comme du public au service duquel elle œuvre sont d’une grande importance et sensibilité. Cependant, d’après un récent article du Europäische Grundrechte (6), en juin 2012, l’Assemblée a malgré tout élu un juge au sujet duquel tant le panel que le sous-comité avaient émis un avis défavorable. Il semblerait qu’il n’y ait pas eu de débat au sein de l’assemblée, qu’il soit public ou à huis clos, durant lequel les raisons de l’assemblée de passer outre les avis des panels et sous-comité auraient été exposées.(7) Néanmoins, j’ai noté qu’après l’élection de plusieurs juges début octobre 2012, le Conseil de l’Europe a publié un communiqué exposant les recommandations du sous-comité, parallèlement à une déclassification du détail des votes de l’assemblée, qui, en l’occurrence, avaient suivi les recommandations du sous-comité. Quel que soit le fond de cette innovation, ceci doit être perçu comme un pas dans la bonne direction et montre, à l’évidence, combien cette question évolue actuellement.
Initiatives visant à étendre le rôle du panel au terme de l’Article 255
27. Récemment, certaines initiatives visant à étendre le rôle du comité au terme de l’Article 255 ont vu le jour. Afin d’alléger la charge de travail très lourde du Tribunal, le 7 avril 2011, la Cour de justice a présenté une proposition d’élargissement du Tribunal à la Commission à un minimum de douze juges supplémentaires par rapport aux 27 juges existants. La Cour a émis l’idée que ces juges supplémentaires permettraient la création de chambres spécialisées au sein du Tribunal. Le Conseil et la Commission ont tous deux réagi favorablement à cette initiative. La Commission étudie non seulement la création de chambres spécialisées au sein du Tribunal mais également l’importante question du mode de sélection de ses juges. Elle a proposé soit une extension du principe national selon lequel chaque Etat dispose par rotation du droit de nommer un juge, soit un nouveau système où six nouveaux juges seraient nommés ainsi, tandis que les six juges restants seraient choisis parmi les candidats présentés par les Etats sur avis du comité de l’article 255; ce dernier ayant hiérarchisé les mérites des différents candidats confirmés à l’aune des qualifications juridiques requises pour exercer des fonctions au sein de la future chambre spécialisée du Tribunal. De toute évidence, ceci entrainerait une augmentation conséquente du rôle et des tâches du comité. Ceci dit, en cette période d’austérité économique, le Conseil hésite au vue des implications financières et il n’est pas certain, au moins à court terme, qu’il souhaite favoriser la proposition.
28. Une seconde initiative pourrait voir le jour si l’UE adhère à la Convention européenne des droits de l’homme, du fait de la nécessité de présenter une liste de trois personnes parmi lesquelles l’Assemblée du Conseil de l’Europe choisirait un candidat pour siéger en son nom à la CEDH. Il se peut que le comité au terme de l’Article 255, ou ses membres, se voient octroyer un rôle à cet égard. Mais, cela aussi, reste à voir. Il n’entre pas dans les attributions du comité de chercher à modifier ou à étendre son mandat. Nous avons déjà suffisamment à faire en l’état.
Conclusion
29. Sir David Edward, ancien juge anglais de l’ancienne Cour, décrivit un jour la Cour européenne comme la cendrillon des conférences intergouvernementales lorsque l’on pense à son fonctionnement et à sa structure (8). Que ces diverses initiatives aboutissent ou non, le développement du comité de l’article 255 ainsi que de son parent Strasbourgeois doit être perçu comme des signes encourageants vers la reconnaissance de la nécessité de s’assurer et de démontrer la qualité des juges qui siègent au sein des Cours du Luxembourg et de Strasbourg. Il a été suggéré sans grande conviction que l’introduction de ces comités ne refroidisse les ardeurs des candidats potentiels. Cela m’étonnerait fort dans la mesure où les rapports adressés aux gouvernements demeurent confidentiels. A l’échelon national, tout au moins au Royaume Uni, il relève de l’axiome que la plupart des praticiens aguerris se présentent et soient reçus en vue de nominations ou promotions ; et les candidats ne manquent guère.
30. De plus, même si les ardeurs sont refroidies, cela est largement compensé par les avantages d’une évaluation objective. En définitive, cela ne pourrait que servir les intérêts des Etats. En tout état de cause, cela sert les intérêts de ceux qui utilisent ou sont affectés par la jurisprudence des Cours du Luxembourg et de Strasbourg. La confiance du public en la façon dont les cours fonctionnent est critique tant pour l’UE que pour le système basé sur la Convention. A l’échelon national également, il est dans notre intérêt que les systèmes nationaux de sélection et de nomination soient transparents, objectifs, équitables et efficaces.
*© Lord Mance
(1) Ref e.g. the Interrights Report of May 2993, Opinion N° 5 (2003) du Conseil Consultatif des juges Européens sur le droit et la pratique relatives aux nominations à la Cour Européenne des droits de l’homme, les Principes de Burgh House , publié par un groupe d’étude de la International Law Association en 2004, et l’exposé présenté par Paul Mahoney (aujourd’hui Juge Mahoney à la Cour Européenne des droits de l’homme) lors de la conférence de Lancaster House en octobre 2008.
(2) Nous avons estimé que le droit de l’Union Européenne le prévoit : Aff. C-28/08 Commission v Bavarian Lager Co Ltd.
(3) Le terme “hautes” est nouveau, et reconnait, comme il se doit l’importance de cette Cour.
(4) La Résolution 1366 (2004), la Recommandation 1649 (2004) et les Résolutions 1426 (2005) et 1627 (2008), stipulent que les listes ne comportant qu’un seul sexe ne sont pas acceptables, lorsque les femmes sont sous -représentées (au sens de moins de 40% de la Cour) ou à moins de circonstances exceptionnelles (par ex lorsque, malgré des mesures adéquates, il n’est pas possible d’identifier un candidat approprié de ce sexe). La Recommandation 1649 (2004) et la Résolution 1426 (2005) traitent également du processus de sélection national. La première lance, par le biais de la presse spécialisée, un appel à candidatures de personnes disposant d’une expérience en matière de droits de l’homme et maîtrisant au moins une des deux langues officielles ; et la seconde “invite les gouvernements des états membres qui ne l’auraient pas encore fait, à mettre en place – sans tarder – des procédures nationales de sélection afin de garantir que l’autorité et la crédibilité de la cour ne soient pas menacées du fait de procédures politiques, au cas par cas appliquées à la nomination des juges. En outre, “elle invite les gouvernements des Etats membres à s’assurer que les organes de sélection (et ceux qui les conseillent) respectent, eux-mêmes, l’équilibre entre hommes et femmes.”
(5) Documents CM (2012)40 et addendum.
(6) Mehr Transparenz für die Wahrung professioneller Qualität bei den Richter-Wahlen zum EGMR EuGRZ 2012, 486, par Norbert Peter Engel.
(7 )L’internet sur http:/assembly.coe.int/Documents/Records/2012/E/1206261000E.htm se borne à indiquer qu’un membre anglais de l’Assemblée, Lord Tomlinson, a tenté de faire référence au rapport du sous-comité électoral qui exposait le choix du comité, mais a été déclaré non recevable par le président au motif que le document était confidentiel.
(8) Témoignage donnée par Sir David Edward devant l'European Selection Commitee de la Chambre du Lorde à propos du Traité de Lisbonne: voir The Treaty of Lisbon: an Impact Assessment 10th Report of Session 2007-2008 HL Paper 62-II, Volume II, S38 Q134.